obscure-clarté (nova)

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❝ Tu n’es pas de ceux qu’une fatigue vaine doit décourager ni qu’une chute peut briser. Tu n’es pas destiné à ramper sur la boue de la réalité. Tu es fait pour créer ta réalité toi-même dans un monde plus élevé, et pour trouver tes joies dans les plus nobles facultés de ton âme. ❞

Il a fait un cauchemar hier soir. Un de ceux qui vous réveillent en sursaut, en sueur, parfois en pleurs. Un de ceux qui tournent dans votre cerveau tout le reste de la journée genre machine à laver. Un de ceux que l'on ne peut pas oublier. La pièce était sombre et vide, et devant lui : un livre. Un grand livre un peu usé par le temps. Et lorsque après des longues minutes d'hésitation il effleura de sa main gauche la couverture, il se sentit aspirer. Il était prisonnier. Prisonnier des pages et de l'obscurité. Prisonnier lui aussi des contes et de ce monde étrange que Jacob semble comprendre plus que lui. Il a fait un cauchemar hier soir, le même toutes les nuits depuis une semaine, et lorsqu'il se réveille en sursaut, comme à chaque fois, ses yeux se perdent sur l'espace vide autour de lui. Il hait cette péniche dont il ne sait pas occuper l'espace vide. Ce n'est pas chez lui. Ca n'en a ni l'odeur ni le décor. A l'intérieur de ce vieux bateau retapé, un peu en retrait du reste de la ville, Anton ne se sent pas à sa place. C'est quelque chose qui revient souvent, comme les cauchemars, cette impression qui le taraude, qui lui comprime l'œsophage et les poumons. Il est un corps étranger, une tumeur bénigne dont personne ne connaît l'existence. Il a marché toute la journée pour oublier le cauchemar et le reste, maintenant il est là, les mains dans les poches, devant la toute petite bibliothécaire. « Sa-salut. » Il l'aime bien Nova. Elle est gentille. Gentille et douce. Il y a quelques mois, il était tombé sur elle au hasard de la ville. Mais tomber n'est pas le bon mot puisqu'il implique une chute et donc une blessure et, contre Nova, personne ne se heurte, elle est faite de coton, de bords ronds, sans coins et sans angles, elle est une longue route de campagne, sans virages et sans accidents, elle est un soir d'été, paisible et reposant, sans pluie et sans orages. Il sait qu'elle abrite en elle des constellations d'étoiles, et même des météorites, des étoiles filantes, des planètes inconnues, et, de la nuit, Anton a toujours eu peur, pourtant, au contact, de la bibliothécaire il semble moins terrifié lorsque le soleil meurt pour laisser place à l'obscurité. Au contraire, lui, laisse le jour s'engouffrer dans sa personne, ça se voit au soleil dans son sourire et dans ses mots clairs, détachés, articulés. Ce jour qui effraie la minuscule Nova, elle qui préfère la nuit et les recoins les plus cachés de la bibliothèque dans laquelle elle évolue comme une reine. En fait, Nova pourrait-être une princesse. Son royaume est fait de papier, de silence, de rires étouffés, de sourires à demi et de sensibilité à fleur de peau, à fleur de mots. Une princesse-bibliothécaire. C'est une drôle d'idée à laquelle il sourit discrètement. Il pose ses coudes sur le bureau d'accueil et vient y reposer son menton tandis que son regard se perd devant lui. Il passe en revue les dizaines de rangées de bouquins, les visages silencieux, concentrés, passionnés, les pas feutrés et les murmures à peine audibles, les pages que l'on tourne et les mondes que l'on découvre derrière. Il a toujours aimé les bibliothèques ou les librairies, mais ce qu'il préfère, lui, ce sont les galeries d'art. Voguer entre les œuvres, se rapprocher et reculer, contempler dans le silence ou en débattre avec quelqu'un, n'importe qui. « Ca te dirait de me montrer un peu plus la ville quand tu auras fini de travailler ? » Il fait attention à ne pas parler trop fort, mesure la tonalité de sa voix grave. De Nova, Anton n'a rien cherché à savoir. D'ailleurs, il refuse de savoir qui elle a été - qui elle est ? - il préfère l'ignorance, il préfère s'illusionner et croire qu'elle est comme lui, exactement comme lui, et non pas un personnage de papier coincé au milieu d'un mensonge gigantesque. Il a fait un cauchemar hier soir. Il aurait bien besoin qu'on lui apprenne à avoir moins peur du noir.

Les visages défilent tout doucement à la bibliothèque. Ce n’est pas comme dans les magasins où les gens entrent et sortent très vite, on croire presque tous les visages de la ville là-bas, on en découvre des inconnus. Au restaurant il y a ceux qui viennent la pour la première fois et qui ne reviendront pas, ou rarement, il y a les habitués aussi, mais ça ne durent que quelques heures et puis tout le monde s’en va. A la bibliothèque Nova a l’impression de connaître tous les visages. On entre rarement par hasard ici, on n’arrive pas parce qu’on s’est perdu. Les visages s’impriment dans l’esprit de Nova, comme les noms, elle saurait dire qui vient quel jour, dire si une absence est normale ou non, dire les habitués et souvent où ils s’installent. Mais ils ne sont pas si nombreux à franchir la grande porte, ça n’existe pas la bibliothèque noire de monde. Pas ici. Mais ça n’a pas d’importance, elle aime bien reconnaître tous ceux qu’elle croise ici Nova, elle aime bien leur demander des nouvelles et parler avec eux s’ils le veulent bien, des livres et de tout ou rien. Assise à l’accueil, il ne se passe pas grand chose. Il est presque tard et il ne reste que quelques silhouettes dans la bibliothèque qui est presque endormie. C’est un jour un peu vide, peut-être parce qu’il a fait gris dehors, peut-être qu’il faisait froid, elle ne sait pas trop Nova, quand elle est partie ce matin il faisait nuit encore. Et puis il y a tous ceux qui travaillent, qui n’ont pas le temps, si ce n’est le samedi, le dimanche. Les gens sont trop occupés mais ce n’est rien, qu’il y ait tout un tas de monde ou personne, Nova se sent toujours comme chez elle au milieu des grandes étagères pleines de livres. Elle a fait tout ce qu’elle avait à faire alors elle reste là à regarder au loin et puis un peu aussi les gens un livre entre les mains. Elle se perd dans ses pensées et puis la porte s’ouvre alors qu’elle ne pensait voir plus personne entrer là. Il y a des tas d’habitués, de visages qui reviennent ici, mais Anton lui n’est rien de tout cela. Elle ne sait pas comment il est arrivé là, pourquoi il a quitté l’Allemagne en choisissant Fairview comme destination. « Salut Anton. » Elle lui sourit du bout des lèvres, elle parle tout bas. Anton ressemble à un nuage, comme ceux qui viennent adoucir le ciel tout près du soleil qui semble s’être glisser dans son sourire, et puis ses yeux et ses cheveux. Comme eux il est apparu là un jour, sans qu’elle ne puisse dire comment, mais il était là Anton, un peu perdu au milieu de cette ville qu’il ne connaît pas. Il a toujours l’air un peu perdu. Nova aussi parfois. Ils se perdent sur des chemins qui peut-être se croisent, mais elle ne sait pas ce qu’il se passe dans la tête d’Anton. Surement des tas de choses belles à voir. Elle hoche la tête à ses mots, dans un sourire encore un peu plus grand que le précédent. « Bien sûr, avec plaisir. J’ai presque fini. » Elle la connaît par cœur la ville Nova, elle s’y perd comme dans sa tête, comme dans ses rêves. Elle déambule le jour, le matin, souvent la nuit, surtout la nuit, mais elle marche sans chercher de chemin précis, elle fait un pas, puis deux et trois et puis se retrouve dans des rues loin de chez elle parce qu’elle ne fait pas attention à où elle va, elle tourne à gauche puis à droite sans but. Au début elle se perdait pour de vrai, quand elle réalisait elle était déjà loin de ce qu’elle connaissait, et elle se retrouvait à tourner en rond, et à force elle a fini par reconnaître un peu tout pour finalement se perdre comme elle le souhaitait, et puis rentrer quand elle en avait marre. « Il n’y a pas grand chose de spécial ici, mais si tu veux, on peut juste marcher dans les rues et comme ça tu verras un peu tout à la fois. Sauf si tu veux aller quelque part en particulier. On fait ce que tu veux, d’accord ? » Sa voix tout douce se fond dans le silence qui les entoure, dérangé seulement par le bruit du parquet qui craque, et des pages qui se tournent.

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