Will you recognize me ?

Elle avance, Ginger à ses côtés, tout près d’elle, et un instant comme extérieure à la scène elle se voit là avec elle, et les images du passé se déposent au dessus d’elles, elle revoit Ginger enfant, grandir un peu et puis beaucoup, Rosalie juste à côté, et elles sourient. Alors elle se dit que peut-être sa vie retrouvera un sens un peu plus clair, peut-être qu’elle avait marqué une pause, pour tourner au ralentit, et qu’à présent tout allait reprendre. Peut-être que Ginger était le rouage manquant pour que tout s’arrange. Est-ce que tout va redevenir comme avant, à présent ? Elle sait bien que non, qu’il s’est passé trop de choses depuis qu’elles se sont vu pour la dernière fois, il n’y aura plus de comme avant parce que Rosalie n’est plus la même, un bout de son cœur a disparu, modifiant tout ce qui continuait de battre. Mais peut-être qu’elle peut l’espérer, rien que ce soir, rien qu’un peu ? Rosalie a toujours détesté l’improvisation. Elle aime préparer les choses importantes, organiser son emploi du temps, savoir plusieurs jours à l’avance qui elle voit, si elle sort, s’il y a un événement à ne pas oublier, des choses à fêter. Elle déteste être prévenue au dernier moment, qu’on lui propose de sortir le soir même, qu’on lui demande de faire quelque chose dans la journée. Bien sûr c’était assez compliqué à l’hôpital, mais elle s’y était faite, parce qu’il n’y avait pas le choix, elle s’était habituée aux imprévus, aux urgences, aux problèmes de dernière minute, malgré tout elle arrivait toujours à suivre sa liste de choses à faire, à peu près dans les temps. Mais sa tolérance à l’improvisé s’arrêtait à l’hôpital. Pour autant elle n’avait jamais su dire non, Rosalie toujours accepte tout et n’importe quoi, parce qu’elle a peur de blesser, de vexer, qu’on la trouve trop ennuyeuse. Mais cette fois, Rosalie n’hésite pas une seconde, ne pense pas même à se plaindre, tout ce qu’elle souhaite c’est retrouver Ginger, peu importe où elles vont. Ça n’a pas d’importance. L’air frais caresse sa peau, elle lève un instant les yeux vers le ciel étoilé, avant que la voix de Ginger ne la ramène sur la terre ferme. « On va dire l’Insomnia ! » Le petit cri de Ginger résonne dans le silence de la nuit, et se mêle au rire de Rosalie. Elle a l’impression de retrouver toute l’énergie qui lui manquait, comme une vague d’enthousiasme qui ne l’avait plus frappé depuis bien longtemps. Elle l’écoute et son grand sourire ne quitte plus ses lèvres. Toutes les questions qu’elle se posait disparaissent une à une. Puisqu’elle a décidé d’espérer, peut-être qu’elle pourrait oublier, rien qu’une fois oublier qu’une partie de son cœur s’est envolée, qu’il ne reviendra pas. Faire un pas en avant, ce n’est pas si compliqué, quand elle y pense. Parce que Ginger est là, elle retrouve une autre partie de son cœur, une partie endormie qui retrouve finalement son soleil après des années, alors qu’elle n’osait plus vraiment y croire. Elle éclate de rire et hausse les épaules. « On verra, on verra. » A ça aussi elle peut y croire, rien qu’un instant, elle décide de laisser toute sa rationalité de côté, oublie sa raison, n’écoute ni sa tête ni son cœur, mais simplement Ginger, parce que tout est plus facile comme ça, en n’écoutant que ses mots qui éclatent dans l’air, plein d’enthousiasme et de frénésie, ses mots colorés qui se mêlent aux rires. « Ah c’est vrai que tes talents pour la conduite me manquent beaucoup trop, alors tu m’embarques ! » Probablement qu’un autre jour elle aurait préféré conduire, parce qu’elle ne savait que trop bien à quoi ressemblait les sorties lorsque Ginger était au volant, mais leurs retrouvailles ne seraient pas les mêmes si elle ne la laissait pas les conduire. Rosalie voulait retrouver tout ce qui n’appartenait qu’aux souvenirs, que tout redevienne des habitudes, qu’elles ne soient plus perdues dans le passé. La bulle dans laquelle elle se laissait guider depuis quelques minutes manqua d’éclater aux mots de Ginger, lorsque le visage d’Issa lui revint en tête. Elle sentit son enthousiasme tanguer, prêt à disparaître pour basculer de nouveau dans la réalité. Alors Rosalie secoue la tête comme première réponse, et son sourire retrouve des pointes de tristesse, c’est probablement imperceptible, Ginger ne remarquera probablement rien, mais c’est tout ce qu’elle souhaite. « Non, toujours les bruns. Elle s’arrête un instant, se concentre sur l’enthousiasme de Ginger qui reste lui, toujours, alors elle laisse ses souvenirs s’envolés dans l’air. Mais un roux c’est très bien aussi oui ! » Elle incline la tête sur le côté retrouvant un sourire malicieux. La bulle est encore là, Rosalie toujours à l’intérieur. « Allez on y va ! » On y va comme avant.