« On parie que je peux être au ponton avant toi ? » Sans même attendre la réponse de son amie, la jeune Coral s’élance et saute le petit muret devant elle. Elle doit prendre toute l’avance qu’elle peut quand les jambes de Terence sont plus grandes que les siennes, et plus rapides aussi. Elle ne s’inquiète pas des remontrances de ses parents qui lui crient au loin de revenir et d’arrêter de se comporter comme un garçon. Déjà, de toute façon, les remontrances se transforment en simples conseils : « sois prudente, Coral ! » mais elle les entend à peine, du haut de ses dix ans. Coral, elle a de la vie devant elle, mais surtout la mer, tout là-bas qu’elle aperçoit, et Terence à ses pieds. Il est hors de question qu’elle ralentisse le pas, ou qu’elle ne laisse le moindre obstacle la gênait dans son épopée à elle. Elle ne répond pas non plus aux plaintes de Terence – évidemment que c’est de la triche ! Comment pense-t-il qu’elle pourra gagner cette course, sinon ? Elle finit cependant pas prendre le temps de se retourner, simplement pour lui tirer la langue mais évidemment, c’est à ce moment-là, qu’un animal qu’elle n’aura pas le temps d’identifier se prendra dans ses jambes et ne manquera évidemment pas de la faire tomber. Ses genoux s’écorchent, et ses coudes aussi quand elle essaie de rouler pour protéger sa tête. Ca pique, ça brule mais la fillette ne s’arrête pas. Une seule seconde à terre, c’est déjà beaucoup trop. Alors les dix qu’elle vient de perdre. Elle repart, au galop presque bien déterminée à garder cette course, même si elle sent d’ores et déjà Terence sur ses talons. Il va la battre. Elle tente d’attraper sa main au passage pour profiter de sa vitesse, et le tirer en arrière. Mais il la connait, Terence. Peut être un peu trop, commence-t-elle à se rendre compte. Elle court, elle court, à bout de souffle, et ils sont à égalité mais il ne faut pas longtemps pour que Terence, avec ses grandes enjambées, ne la dépasse et… atteigne le ponton le premier. « Ca compte pas ! Je suis blessée ! » lance-t-elle de sa voix enfantine. Elle proteste, mais plus pour la forme quand un grand sourire illumine son visage. Elle s’en moque de perdre, Coral, tout ce qu’elle veut, c’est passé sa vie à jouer. Et avec son ami, de préférence. La fillette lui montre ses genoux et ses coudes, pourtant, juste au cas où. Quelques fois qu’il soit d’humeur à capituler. Elle ne laisse rien voir, pourtant, des brulûres. Coral ne dit rien, mais elle aurait bien aimé que sa maman soit là. Coral aurait râlé, mais l’aurait volontiers laissé panser ses blessures. La seule idée de l’eau de mer caressant sa peau à vif lui donne des frissons. Mais elle n’en montrera rien. Coral, c’est une fille. Alors, Coral, il faut qu’elle soit quatre fois plus forte que les autres. Et elle l’est, ou elle le sera en tout cas. Avec l’aide de Terence, rien n’est impossible.

Si Coral a toujours trouvé que Terence était particulièrement beau, la gamine prend petit à petit conscience de la bonté de son compagnon. Elle réalise bien qu’il est différent des autres ; les preuves sont irréfutables : il est le seul à ne pas s’impatienter quand ses jambes s’emmêlent alors qu’aucun obstacle ne se dressait devant elle. Il ne dit rien non plus quand elle calcule mal l’espace qui la sépare d’un arbre, ou d’une porte et qu’elle se dégomme l’épaule dans leurs courses effrénées vers la liberté. Et là, il ne prend pas même le temps de savourer sa victoire qu’il s’inquiète déjà de ses blessures. Déçue d’avoir perdue, Coral pousse un léger soupir, et ne prend même pas la peine de féliciter son amie – elle est bien trop occupée à invoquer des circonstances atténuantes à sa défaite. Mais elle oublie rapidement sa douleur quand il s’agenouille devant elle pour inspecter ses blessures. Son air circonspect semble traiter la plus grave des blessures ; elle a mal, la gamine, mais elle sait bien que dans une heure ça sera fini. Alors elle sourit en le voyant s’inquiéter. Et puis, surtout, elle aime la vue qu’elle a l’enfant : il est tellement beau quand il prend soin d’elle, Terence. « Mais ça va piquer ! » proteste-t-elle d’une voix fluette avant de croiser les bras sur sa poitrine. Mais il ne la laisse pas faire, et à peine a-t-il attrapé sa main qu’elle est déjà quelque peu rassurée. Tant que Terence est à ses cotés, cela ne peut qu’aller. Avançant, elle se colle à lui, et ne proteste plus, parce qu’elle sait que c’est inutile et qu’il a raison. Coral aime bien l’odeur de Terence, de toute façon alors elle ne va pas se priver d’une occasion d’en profiter, surtout quand elle a une si bonne excuse. Quand il relâche sa main pour se pencher vers la grande étendue d’eau, la jeune femme sert les poings, et les dents, s’efforçant de ne rien montrer. Une larme glisse le long de sa joue quand elle sent l’eau de mer la picoter. Elle ne dit toujours rien, et se concentre sur le rivage droit devant elle, qui ne manque jamais de l’apaiser. Coral, elle voudrait déjà parcourir la mer, mais elle ne peut pas : trop jeune, qu’on lui dit. On lui dit aussi que ça lui passera mais l’enfant sait pertinemment que non. « Non ! » proteste-t-elle, quand il lui propose de dire qu’elle a gagné. « Tu m’aurais rattrapé de toute façon. » explique-t-elle avant de s’accroupir à son niveau, et de déposer un petit baiser sur sa joue. « Bravo Terence, c’est toi le meilleur. » qu’elle lui dit, sincère comme seul un enfant peut l’être. Bien évidemment, sa maladresse reprit rapidement le dessus, et elle se retrouva rapidement les fesses dans le sable, que la mer ne manquait pas de caresser. Voilà qu’elle était toute mouillée. Cette fois, cependant, l’enfant ne put s’empêcher de rire, lançant un regard mi-gêné mi-amusé à son ami. A force, il avait l’habitude. Il y avait même une amélioration : au moins, elle n’avait pas la tête dans le sable cette fois.