Avec sa poussette, et son sac à langer, il était fier, Maxim Fitzgerald. Fier comme un paon, fier comme il n'avait jamais pensé pour l'être de ce qu'il appelait autrefois une machine à caca. Jamais il n’aurait imaginé être père, à dire vrai, ou en tout cas, l'idée que cela puisse lui plaire lui avait toujours paru extrêmement invraisemblable mais pour une fois qu’il acceptait de s’offrir un moment père/fille, il devait avouer presque regretter de ne pas le faire souvent. Pourtant, le jeune homme aimait sa liberté et tenait à réussir à finir brillamment ses études comme son roman, ce qu’il ne pouvait évidemment pas faire avec la petite Ella à garder. Les quelques instants qu’ils passaient ensemble n’en étaient pourtant pas moins précieux aux yeux de Maxim. Il était bien loin d’être un homme parfait mais il y a une chose qu’il se jurait désormais d’être et c’était d'être un bon père. Mieux! Un excellent père, quelqu'un à la hauteur, tout ce que son père n'avait jamais été pour lui. Ainsi, luttant contre tous ses instincts contre ce besoin presque incontrôlable qu'il avait de tenir tout le monde aussi éloigné que possible de lui, il avait demandé à Mara si ça ne la gênait pas qu’il prenne la petite quelques heures pour une petite promenade. Mais que pouvait-on faire avec un enfant de quelques mois ? Maxim n’en avait strictement aucune idée; à part la nourrir, et la bercer, il n'avait pas fait grand chose avec elle. Quoiqu'ils jouaient, ensemble mais ça, ils pouvaient le faire de la maison. Ainsi, peu certains de ce qui l'intéresserait, Maxim avait ce que les gens faisaient généralement dans les films: il avait fait le tour du parc en lui racontant ce qui se dessinait devant ses yeux, avait même été jusqu’à la présenter à ses grands-parents avant de l’emmener manger un burger. Bon, pour elle, ce serait un biberon mais Maxim n’ayant aucune envie de voir ce moment prendre fin, alors autant le prolonger jusqu’à l’infini. Il sentait bien le regard de ceux qui le connaissent, en vrai ou de réputation, qui le jugeait. Qu’allaient-ils s’imaginer ? Pour la première fois depuis bien longtemps, le jeune homme s’en inquiétait. Lui qui d’ordinaire n’en avait que faire de ce que les autres pouvaient penser de lui, Maxim se surprenait à chercher dans leur regard de la reconnaissance. Pensait-il qu’il était un bon père ? Manipulait-il la poussette comme il le fallait ? N’allait-elle pas avaler un peu d’air s’il tenait le biberon comme ça ? Etait-il à la bonne température ? Tant de questions qu’il n’aurait jamais imaginé se poser, celui-ci étant bien trop égocentrique pour jamais vouloir d’enfant. Du moins, le pensait-il. Maintenant qu’il voyait la vitesse à laquelle sa fille grandissait, Maxim arrivait déjà à penser à son prochain enfant – ne lui restait plus qu’à trouver quelqu’un capable de le supporter sur le long terme, ce qui n’était absolument pas gagné. Cependant, ce petit moment si précieux fut interrompu alors l’étudiant en lettres avait à peine eu le temps de mordre dans sa première frite. Son cousin, de qui il avait été si proche par le passé, sans savoir vraiment pourquoi pas d’ailleurs, fit irruption dans le burger et le jeune père n’eut donc pas besoin de plus de quelques secondes pour savoir que ce n’était pas une simple visite de courtoisie. N’ayant aucune envie de prendre part à l’une de leurs habituelles querelles, Maxim ne le quitta pas des yeux, en commençant son repas. Ezra finirait peut-être par se lasser et quitter les lieux ? Secouant légèrement la tête en entendant la remarque de Brant, Maxim tira la poussette vers lui, montrant bien qu’il n’avait aucune envie de discuter de ce genre de choses avec lui. Qu’Ezra soit près à l’admettre ou non, il était bel et bien le père de l’année ! Et était prêt à tout pour garder ce titre pour les années à venir. Avalant une gorgée de son soda – une fois n’était pas coutume, Maxim commençait sincèrement à s’impatienter. Ainsi, quand l’intrus l'interrogeant, lui offrant la question la plus idiote jamais posée, Maxim décida de le prendre comme il prenait désormais tout ce qui sortait de la bouche de l’indésirable : à la légère. Il se pencha pour attraper sa fille et l’installa contre lui. « Ca, c’est Ella, et j’aimerai que tu évites de faire référence à ma fille comme si elle était un objet. » Avalant nonchalamment une frite, Maxim déposa ensuite un baiser sur le front de la petite avant de continuer. « Ensuite, je pensais que tu saurais déjà comment on fait les bébés à ton âge. As-tu réellement besoin que je te fasse un dessin, Ezra ? Tu devrais demander à Mara de t’éduquer sur la question, je vois bien que tu en meurs d’envie. » lança-t-il avec un sourire carnassier dont lui seul avait le secret. S’il pensait vraiment qu’il serait si aisé de lui foutre sa soirée en l’air… Maxim comptait bien s’amuser pour obtenir vengeance. Du moins, jusqu’à ce qu’il finisse de manger. Il serait ensuite grand temps pour Ella de retrouver son lit pour la nuit.

Un sourire mauvais ne put s'empêcher de se glisser sur les traits d'Ezra. « Tu sais très bien que je ne parle pas d'Ella. » Il le savait, Maxim, qu'il gâchait la vie de Mara bien avait l'arrivée d'Ella, et qu'il ne se permettrait jamais de parler de ce petit ange ainsi. Non, ce qu'il voulait lui faire comprendre, le bijoutier, c'était qu'il fallait lui rendre sa liberté, à la mère de la gosse, qu'il fallait la laisser s'envoler de ses propres ailes et ne pas la condamner à rester enfermée dans sa tour d'ivoire, au cœur de la même maison que l'homme qui ne pourrait jamais l'aimer. Le géant détestait ne pas pouvoir faire entendre raison à la jeune femme. Il avait essayé, avait échoué, avait manqué la perdre. Et cette simple pensée avait tout stoppé. Il s'était décidé à ne plus l'embêter avec ses mots, avec ses envies ou avec ses peurs concernant son futur. Ezra était dorénavant lui-même condamné à apercevoir les sourires et les regards doux de Mara entre les quatre murs d'une maison en bord de Marine Drive où la joie de vivre ne pouvait pas subsister ni naître. Le bijoutier observa son cousin déposer un bref baiser sur le front de sa fille. Pauvre gamine. Ezra ne pouvait s'empêcher de se projeter dans quelques années, lorsque les désirs paternels de son cadet auraient disparu et que sa fille devrait abandonner l'idée de toujours l'avoir à ses côtés, pour seulement l'apercevoir entre deux nouvelles folies. Maxim était un électron libre. Il allait, venait, s'amusait de la vie et des autres sans plus avoir de considération pour quiconque, si ce n'était lui-même. Parfois, le bijoutier avait l'impression d'être le seul à voir la réalité en face. Penchant la tête sur le côté, son demi-sourire crispé ne quitta pas ses traits. « Pas besoin, Prim m'aide déjà sur le sujet. » Il avait envie de jouer au ccon ? Très bien, Ezra commençait à être rodé. Si Maxim était capable d'appuyer là où ça faisait mal, le presque trentenaire se souvenait tout autant des sujets sensibles. C'était provocateur, c'était bête et méchant, mais pour le coup il était à peu près certain d'avoir capté pour de bon son attention, aussi puérile et insupportable soit-elle. « Laisse Mara vivre sa vie. Laisse-la trouver une maison, laisse-la offrir une vraie chambre à sa fille. Malheureusement, je pourrai jamais éliminer le fait que tu es le père d'Ella, mais je peux essayer de rendre l'existence de sa mère un peu plus facile. » C'était tout ce qu'il souhaitait, Ezra. La voir heureuse, la savoir souriante et le cœur palpitant. Il l'imaginait sans mal profiter du soleil dans un jardin qui serait sien, à regarder Ella courir entre les fleurs et se lever pour remettre son petit chapeau blanc en place. Mara n'était plus une gamine. Elle était à présent une femme qu'il avait envie de protéger de tous les dangers du monde extérieur, même si cela revenait à se confronter au mur de mépris et d'incompréhension que pouvait être Maxim avec lui. Parce qu'Ezra, il n'avait aucun mot à dire sur la situation. Il n'était que l'ami de Mara, le cousin de Maxim, un membre trop éloigné d'Ella pour réellement compter. Peut-être qu'elle l’appellerait à jamais Ezra, que plus tard, elle ne le connaîtrait pas assez bien pour lui donner un surnom ou sourire à son passage dans sa vie. Peut-être que dans sa tentative désespérée pour faire ouvrir les yeux à son cousin sur le malheur qu'il pouvait insuffler à Mara depuis bien trop d'années, il perdait petit à petit à la chance de faire partie de la vie d'Ella. Il en mourrait d'envie, pourtant, le géant. De croiser ces petites prunelles pleines de vie, de la défendre face aux méchants dans la cour de récréation, de l'inviter à confectionner de jolis bijoux pour sa maman à la boutique. Ezra ne manquait pas d'idées farfelues quant au futur. Il se surprenait à posséder une imagination débordante et florissante, où chaque aspect de sa vie actuelle prenait un tournant positif et rassurant. Peut-être parce que ce destin incluait des personnes chères à son cœur et que son seul dessein était de les savoir heureuses. Que ce soit à ses côtés ou non. « Fais ça pour Mara, Maxim, et pour Ella. Si tu l'aimes vraiment comme tu le prétends. »

Spoiler:

Ezra le fatiguait, avec ses exigences à deux sous. Maxim était loin d’être un homme parfait, il n’était probablement même pas quelqu’un de bon. Mais cette tendance que son cousin avait de la diaboliser le mettait hors de lui. En l’occurrence, il ne faisait rien à Mara. Mais ça Ezra refusait de l’entendre. Que s’imaginait-il ? Que Maxim retenait la jeune femme captive la menaçant si elle osait émettre l’idée de quitter les lieux ? La vérité était bien loin de cela. Serrant sa fourchette plus que de mesure lorsqu’il mentionna Prim, Maxim se retint de justesse de lui faire comprendre qu’il avait Prim bien avant lui. Sauf que cela serait admettre qu’il l’aurait perdu, et ça, Maxim avait encore du mal à l’admettre. Cela n’avait même pas quoique ce soit à voir que c’était Ezra qui avait le droit de profiter de sa compagnie, en réalité. Si cela rendait Prim heureuse, le jeune homme n’avait aucune rancœur à ce sujet. Il ne savait que trop qu’il était le coupable dans l’histoire. Qu’il ne pouvait que se blâmer de l’avoir perdu quand il était parti comme un voleur après l’erreur d’une nuit. La nuit passée avec Prim était la plus belle de sa vie mais elle n’en restait pas moins une erreur quand Mike venait à peine d’être enterré, quand il avait perdu la seule personne capable de le comprendre. Et ça avait été la dérive. Il n’avait jamais été adorable avant, il n’avait jamais fait partie de ses gens bons en tout circonstance mais il avait été meilleur que ce qu’il était. Jusqu’à ce qu’il perde Mike, puis Prim. Il n’y a rien de pire que de perdre deux amis, en même temps. Il s’abstint, cependant, posant son regard sur Ella pour se calmer. Elle avait cet étrange pouvoir sur lui : il était apaisé, comme si le trou béant dans sa poitrine avec lequel il vivait depuis bien trop longtemps maintenant était enfin comblé, ne serait-ce qu’un peu. Ezra continua à lui faire la morale, lui expliquant combien ce qu’il faisait était mal, que ce n’était pas une bonne vie pour Mara, blablablabla. Cela n’énerva pas Maxim puisqu’il savait pertinemment que c’était tout ce que tout le monde pensait, et si son cousin n’avait pas été là pour lui dire, quelqu’un aurait bien fini par le faire auparavant. Mais il ne savait rien de ce qui se tramait dans l’esprit de Maxim. Il n’était pas calculateur (la plupart du temps en tout cas) et ne cherchait pas particulièrement à blesser son entourage ; non, c’était quelque chose de naturel chez lui, qui ne lui plaisait pas plus que ça, peu importe l’image qu’il renvoyait. Et évidemment, il dut finir sur une touche de chantage affectif, histoire de rendre le tout mélodramatique. On se serai cru dans un roman de gare ! Poussant un soupir, Maxim avala une gorgée de son burger avant de répondre au malvenu. « Crois ce que tu veux, Ezra, mais je n’ai pas forcé Mara à quoique ce soit, et elle est libre de partir quand elle le veut. Ella a une vraie chambre chez moi, Mara aussi. Je lui offre un toit, ce qui lui permet de s’offrir une demeure et des choses à Ella qu’elle n’aurait pas pu lui offrir ailleurs. Tout ne se réduit peut-être pas au nombre de zéro sur ton compte en banque, mais quand tu as un enfant, l’argent a son importance. » Il poussa un profond soupir et continua, agacé de devoir se justifier mais se sentant obligé de le faire, quand son amour pour Ella avait été mis en jeu. « Et, même si tu souhaites que je le fasse, je ne lui demanderai pas de partir. Pour Ella, que j’aime contrairement à des insinuations, qui, mon pauvre Ezra, ne sont même pas dignes de toi. » Il avala deux frites avant de continuer, bien heureux de voir les rôles inversés et de pouvoir faire la morale à son cousin pour une fois. « Je sais ce que c’est que de grandir sans ses parents, de n’avoir que leur portefeuille pour autorité et que leur maison vide pour affection. Ella mérite mieux qu’un père absent ou qu’elle verra tous les quinze jours. Mara sait ce dans quoi elle se lançait, je ne lui ai rien promis. Je lui ai simplement expliqué vouloir être là pour mon enfant. » Il avala une gorgée de son coca, pour se donner une constance, détestant revenir sur cette période de sa vie. Les rares fois où il acceptait de la mentionner, ça ne loupait pas : il avait l’impression d’avoir de nouveau huit ans, quand la solitude lui glaçait le sang et les os et qu’un rien pouvait le mettre à terre. Chassant la lueur de tristesse qui était mise dans ses yeux d’un baiser sur les mains de Ella, il ne détacha pas son regard de cette dernière en disant : « Alors ce que je fais, je le fais pour Ella. Ne te mêle pas de ça Ezra. »

Ezra ne sait même plus ce qu'il fiche ici. A cette table, face à son cousin. Son regard dérive sur le visage d'Ella, qui contemple les environs de son petit regard curieux. Elle est drôle, cette gamine, avec son petit air lunaire et innocent. Elle a de la chance, d'ailleurs, d'être encore dans l'âge où elle n'est pas emmerdée par les affaires des adultes. Le bijoutier manque sourire en l'observant, mais il se retient. Étant en grande conversation avec le père de cette dernière, ce ne serait pas convenable. Et il n'a pas envie, surtout, que ce dernier comprenne qu'auprès d'Ella il est plus calme qu'il ne l'a jamais été, apaisé et trop serein pour que ça semble normal venant de lui. Il pourrait passer des heures à la regarder. C'est tellement intriguant, un petit bambin comme ça, et ça grandit tristement vite. Le géant secoue la tête, serre les dents un instant. « Arrête, tu vas me faire chialer cousin... », qu'Ezra laisse échapper en croisant les bras. Il la connaît, la situation de Maxim, il ne peut pas la nier. Mais il s'en contre-fiche royalement, à présent. Lorsqu'ils étaient gosses, ils ont passé beaucoup de temps ensemble à cause de cette dernière mais ce temps est révolu. Ça sert à rien d'essayer de l'amadouer ou de l'attendrir avec ces conneries, ça ne marchera pas. Mon enfant. L'inspiration que prend Ezra est corrosive. Il a besoin de lui rappeler, encore, qu'Ella est sa fille ? Il a compris, depuis le temps, merci. Ça le fout en rogne rien que de le réaliser encore une fois. Pour le coup, les prunelles du bijoutier se détachent pour de bon de ce petit visage attendrissant près de Maxim. Il ne supporte plus de se prendre cette triste vérité dans la figure, celle-là même qui lui fait regretter pour cette enfant d'être bien mal tombée avec un tel père. Plus tard, si les choses se déroulent comme il le prédit, Ezra s'excusera auprès de la gamine. Et comme toute cette histoire va sans doute se terminer comme il le dit, le géant sait que ce moment arrivera où, les yeux rougis, Ella lui demandera pourquoi son père se comporte comme ça et que les mots se bloqueront au fond de sa gorge d'oncle tout aussi perdu. « Tu sais très bien que je peux pas », rétorque Ezra d'un ton franc, relevant son regard dans celui de son cousin. Haussant les épaules, le géant décroise les bras et pose les coudes sur la table. « Disons que t'as rien promis à Mara », qu'il débute. Il laisse à peine quelques secondes passer dans l'air avant de continuer. « Je te parle dans quelques années. Quand toi et ton caractère de merde en auraient marre de supporter les caprices de  ta gamine. Une fois que Mara se sera bien habituée à cette vie qui est en train de se construire tout autour d'elle. » Ezra a appuyé le rappel qu'Ella est sa fille, pas la sienne. Pour qu'il donne une preuve qu'il a bien imprimé l'info et qu'il n'y a pas besoin de repartir là-dessus. Bien sûr, Ezra ne devrait plus rien avoir à dire au sujet de Mara vu comme s'est déroulée leur dernière discussion, mais il ne peut pas s'en empêcher. Il a besoin de la protéger comme il le peut, même face à un poids lourd comme Maxim dans le cœur de sa gamine à lui. Sans pouvoir rien y faire, le bijoutier a dû constater que sa petite chanteuse est en train de s'habituer à cette maison qu'elle « partage » avec Maxim et dans laquelle ce dernier semble lui promettre monts et merveilles ainsi qu'un semblant de vie de famille. Ça déchire vraiment le cœur d'Ezra rien que d'y penser. Il voit tout ça se dérouler sous ses yeux et il a beau remuer ciel et terre pour que quelqu'un comprenne ce qui se passe réellement, personne ne l'écoute. Et surtout pas Mara, qu'il va être condamné à regarder souffrir juste sous ses yeux durant les vingt prochaines années. Et ça, c'est juste pas possible. Le blond est prêt à tout pour que ça ne se déroule pas comme ça. « C'est là que tu vas les laisser », qu'il poursuit sur le même ton grave et agacé. « T'auras beau nier autant que tu veux, c'est tout ce que tu sais faire. Fuir, pile au moment où les choses deviennent compliquées. » Comme toujours. Comme avec Prim, comme depuis qu'Ezra a grandi à ses côtés. Et si son cousin a besoin d'une petite piqûre de rappel, le bijoutier ne va pas se priver pour lui foutre la dose maximale et faire bouger les choses pour de bon.

« T’es pas crédible, cousin » répond-t-il du tac au tac avec le même dédain. Ezra, il n’a rien compris. Maxim n’en a que faire ; il se fiche et contre-fiche de toucher, ou non, son cousin. Ils étaient proches avant. Amis, et bien plus. Ils étaient presque comme des frères. Et c’était fini. Pour une fois, Maxim n’avait eu aucun de mal à tourner la page. Il adorait le faire tourner en bourrique. Il donnerait tout pour pouvoir enfoncer un tournevis dans chacun de ses orifices, le faire souffrir autant que possible, et ce, sans rien risquer. Mais ce n’était pas possible. Alors, il faisait ce qu’il pouvait pour rendre la vie d’Ezra aussi misérable que possible. L’étudiant devait avouer s’être calmé, cependant, depuis la naissance d’Ella. Il avait d’autres priorités, tout simplement. Tel n’était pas le cas de Ezra – en tout cas, ce n’était pas ce que cette soirée laissait à penser. Il ne cille pas, pourtant. Son regard ne quitte pas Ezra d’une seconde. Il est hors de question qu’il lui laisse avoir le dessus, ou décider de quoique ce soit qu’il se passe sans sa vie. Ezra pouvait tenter tous les discours qu’il souhaitait, user de toutes les techniques de persuasion, il n’aurait jamais la main sur lui. Il en était tout simplement hors de question. Ni même sur Ella, d’ailleurs. A quoi s’amusait-il ? Maxim poussa un profond soupir. Les mots que pouvaient prononcer Ezra ne l’intéressaient pas une seule seconde. Comment pouvait-il oser lui faire la morale quand celui-ci n’avait pas été capable de pardonner l’erreur d’un gamin ? Il l’écouta, cependant, simplement pour s’accorder le plaisir de mieux pouvoir lui re-balancer ses mots à la figure. Visiblement, Ezra était convaincu d’être un homme parfait, chargé d’une mission de bon samaritain. « Et toi, qu’est-ce que tu vas faire, Ezra ? » cracha-t-il plutôt que de s’abaisser à se justifier sur le fait que non, il ne fuira jamais. Décidément, son cousin ne connait vraiment rien de lui. Ne trouve-t-il pas un peu facile de qualifier Maxim de démon (du moins dans l’esprit, sinon dans la forme) quand lui-même n’est pas si innocent que ça ? Si les souvenirs de Maxim sont bons, les éclats de colère de Ezra n’étaient pas comparables à ceux de l’étudiant en lettres. Et pas dans le sens que l’on pourrait attendre, pour une fois. Le pire des deux, c’était Ezra, quoiqu’on en dise. Pour des raisons que Maxim connait, naturellement. Pour des raisons qu’il compte utiliser à bon escient, en l’occurrence (kind reminder que tout est relatif). « Je suppose qu’à ce moment-là, tu arriveras sur ton beau cheval blanc, et sauvera tout le monde, c’est ça ? D’un coup d’épée, tu tueras le vilain dragon qui maintient la princesse et son enfant dans leur prison dorée ? » Il sourit, et s’avança vers le malade mental qui lui servait de cousin, sa tête reposant sur ses poings. « Et à ce moment-là, tu leur montreras ta vraie nature, n’est-ce pas ? Tu leur balanceras toutes les horreurs qui te traverseront l’esprit, toutes les méchancetés inimaginables, et puis tu feras comme si rien n’était jamais arrivé, pas vrai ? » Son ton était calme, parce qu’il savait qu’il avait raison. Maxim ne savait que trop que Ezra serait touché. Un minimum. Il n’y laisserait peut être rien paraître, mais cela le toucherait parfaitement. Maxim s’arrêta là pourtant. Parce qu’ils étaient dans un lieu public et qu’Ella était là, et qu’il détestait déjà l’entourer de temps de négativité. Mais Maxim n’en oubliait pas la réalité pour autant. Il n’en oubliait pas les éclats et les injures d’Ezra qui l’avaient blessé, sans que jamais le second ne daigne s’excuser. Parce qu’il oubliait, parce que ce n’était pas de sa faute. Ou peut être, en y réfléchissant, simplement parce qu’il était un enfoiré. « Et tu feras pleurer, Mara. Et ma fille. Et moi, je serai là. Et je les récupérerai. Une fois pour toute… ou jusqu’à ce que je recommence... » Cette fois, ce fut un sourire carnassier qui accompagna ses propos. Tant pis si Maxim donnait exactement à Ezra ce qu’il voulait. L’étudiant savait qu’il était bien au dessus de ça ; il ne pouvait jurer du sort de Mara, mais Ella, elle, serait toujours sa princesse. Elle aurait toujours le droit à un traitement de faveur, quoique son cousin en pense. Mais quitte à se faire traiter comme un salaud et un mauvais père, autant que ce soit pour une bonne raison.

« Ce n’est jamais de ta faute, Ezra, si on t’écoute. » Il est las, Maxim. Il n’en peut plus de ces histoires  - de ses histoires, surtou. Son cousin lui manque, malgré tout ses années, malgré tout ce qui a pu se passer entre eux, et même si l’avouer lui écorcherait la gorge. Non, l’avouer, ou même s’excuser ne fait absolument pas partie des choses qu’il est disposé à faire. Pas uniquement à cause du risque certain de se faire rejeter par Brant, mais simplement parce que Maxim ne fait pas dans la dentelle, ne parle pas de ses sentiments sauf à en être contraint et forcé. Pourtant, si Ezra lui manque, cela ne signifie pas non plus qu’il va se montrer tendre avec lui, ou qu’il lui cachera ce qu’il pense. Maxim est manipulateur, certes, mais Ezra l’est tout autant, et le littéraire n’en peut plus qu’on ne cesse de le faire passer pour la seule mauvaise personne de l’histoire. « Et pour répondre à ta question, oui je le pense sincèrement. » Pense-t-il vraiment être aussi immaculé que cela ? Evidemment qu’il pourrait faire autant pleurer Mara. Parce que contrairement à son cousin, Ezra n’a jamais été parfaitement honnête avec celle-ci. Il la fréquente, dit l’aimer (d’amitié, apparemment…), mais qu’y a-t-il derrière tout cela ? Rien d’autre que des mensonges. Il lui cache qui il est vraiment, et ça, il ne fait aucun doute que cela finira par briser le cœur de Mara. Car si elle pleure pour Maxim, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même, quand ce dernier n’a jamais rien cherché à lui faire croire. Depuis la première fois qu’il a posé les yeux sur elle, il a toujours été lui-même, ne lui jamais caché qui il était. Il est vrai que l’attitude, les mots de Maxim sont parfois cruels, mais il n’a jamais demandé à personne de l’aimer, alors pourquoi venir lui reprocher aujourd’hui que le cœur de la jeune femme se soit épris de lui ? A fortiori quand Maxim fait tous les efforts possibles et imaginables pour ne pas être aussi exécrable qu’il le serait naturellement ! Malgré les quand-dira-t-on, il l’aime Mara. Pas comme il faut, ni comme elle le souhaiterait mais Maxim l’aime bien, à sa façon. Dans un réflexe protecteur qu’il ne se connait pas, le jeune homme serre son enfant contre lui et se tourne légèrement, quand il voit le poing d’Ezra se diriger vers la table –mais qui c’est, peut être aussi vers eux. « Tu n’es pas le mauvais de l’histoire, Ezra. Mais tu n’en es pas le prince charmant non plus. Et tu es loin d’être le seul à souhaiter leur bonheur. » précisa-t-il, reposant Ella dans sa poussette. « Et moi, je ne lèverai jamais la main sur elles. » finit-il par lui cracher à la figure avant de déposer des billets sur la table pour payer l’addition avant de partir. Cette discussion avec son cousin était terminé ; elle ne mènerait à rien et il était tout simplement hors de question que Maxim gâche ce moment passé avec sa fille en compagnie d’Ezra – surtout pour s’échanger ce genre de mots. « Bonne soirée, Ezra. » conclut-il, poussant la poussette vers la sortie avant de disparaître dans la nuit.

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